« Les guerres de l’eau seront des guerres civiles »

29 10 2009

Frédéric Lasserre : Il y a deux types de guerre de l’eau qui circulent dans la littérature, que j’ai abordés dans mon ouvrage. On parle souvent des guerres de l’eau comme des conflits possibles entre des Etats. Ce type de guerre de l’eau n’est jamais arrivé pour le moment, ou en tout cas très rarement. Ce qui me semble plus vraisemblable au XXIe siècle, ce serait plutôt des conflits, de très fortes tensions entre différentes composantes de la société, donc plutôt des guerres civiles.

Ginger : Que pensez-vous du dernier rapport d’Amnesty International concernant la manière dont Israël gère les ressources en eau en Cisjordanie et à Gaza ? Pensez-vous que ce rapport soit objectif ?
 

Frédéric Lasserre : Oui, je pense que c’est objectif. Ce n’est pas une nouveauté. On sait depuis plusieurs années qu’Israël favorise ses propres usages et les usages des colons juifs dans les territoires occupés, au détriment des usages des Palestiniens. Il est vrai que les agriculteurs israéliens ont souvent investi dans des systèmes d’irrigation performants. Mais il est indiscutable que les Palestiniens ne contrôlent pas leur accès à l’eau, ce qui alimente leur colère.

Babibel : La question du chat, « les guerres de l’eau auront-elles lieu », sous-entend qu’il n’y a pas encore eu de guerre de l’eau… Est-ce vrai ?
 

Frédéric Lasserre : C’est difficile de répondre, dans la mesure où il faudrait faire une analyse détaillée des archives historiques de beaucoup de régions différentes. Il y a très peu de guerres de l’eau entre Etats documentées. Il y en a eu une dans la très haute Antiquité en Mésopotamie, il y en a eu une au XVIIIe siècle en Asie centrale entre deux émirats. Certains analystes soulignent aussi le rôle du conflit sur le Jourdain dans l’éclatement de la guerre des Six Jours en 1967. Mais l’eau n’était pas le principal facteur de conflit. A part ces trois exemples, il n’y a pas eu de guerre entre Etats pour l’eau pour le moment.

Jblecanard : Dans quelle mesure les pays développés européens sont-ils concernés par « les guerres de l’eau » ?

Frédéric Lasserre : Assez faiblement, effectivement. Il y a des mécanismes d’adaptation dans la plupart des pays développés, qui font que la rareté n’est pas une source potentielle de conflit violent. Le risque de conflit civil est beaucoup plus présent dans les pays en développement, où les capacités techniques, sociales, financières à la rareté sont plus rares.

Jo : Pouvez-vous citer quelques régions qui auront une « guerre de l’eau » ?

Frédéric Lasserre : Il est difficile de prédire où des conflits vont éclater. On peut retenir un certain nombre de régions où le risque est élevé : dans le bassin du Nil, par exemple, dans le sous-continent indien, en Asie centrale, en Chine du Nord, dans le nord du Mexique.

Eucharis : Quel est votre point de vue sur les nappes phréatiques en Inde ?

Frédéric Lasserre : Les nappes phréatiques en Inde, comme dans d’autres régions, sont souvent surpompées pour satisfaire à la fois les besoin d’eau potable, mais surtout pour l’irrigation. C’est un bon exemple qui souligne à quel point le problème de l’eau dans le monde est surtout un problème dans l’agriculture. Essayer de prévenir les conflits liés à l’eau, c’est donc souvent se poser la question de la transformation des pratiques agricoles.

Thierry_chapin : Ne pourrait-on pas renflouer la mer d’Aral , les lacs asséchés (type lac Faguibine) et exploiter ainsi de nouvelles terres en favorisant l’agriculture vivrière ?

Frédéric Lasserre : Remettre la mer d’Aral à son niveau d’avant 1960 me paraît une entreprise impossible. Cela voudrait dire cesser pratiquement l’irrigation en Asie centrale. Et à la fois pour des raisons financières, économiques et sociales, aucun gouvernement de la région ne l’acceptera. Ce serait déjà remarquable d’arriver à arrêter le déclin de la mer dans son état actuel. Essayer de réutiliser les superficies qui sont apparues après le retrait de la mer suppose aussi de disposer d’assez d’eau pour irriguer ces régions, et de nettoyer le sol, qui est incrusté de sel.

Thierry_chapin : Les eaux fossiles en Libye appartiennent-elles vraiment seulement à la Libye ou les nappes traversent-elles les frontières ?

Frédéric Lasserre : Certains aquifères dans le sud de la Libye sont uniquement en territoire libyen mais d’autres sont aussi sur le territoire du Tchad, de l’Egypte et du nord du Soudan. L’exploitation rapide de ces aquifères par la Libye suscite déjà le mécontentement du voisin égyptien.

Pedro : Comment les Etats peuvent agir face à la géopolitique de l’eau qui est un problème global et qui ne relève donc pas de la souveraineté nationale ?

Frédéric Lasserre : Je ne pense pas que la géopolitique de l’eau soit un problème qui ne touche pas à la souveraineté des Etats. On ne pourra pas faire admettre aux Etats qu’ils n’ont plus du tout de souveraineté sur l’eau. Il vaut mieux les amener à négocier des accords de partage des eaux transfrontalières, et à coopérer pour optimiser les usages de l’eau. Plutôt que d’essayer de leur faire admettre une perte totale de souveraineté sur la ressource.